Rêvons un peu pour commencer, à la lecture de ces lignes (Kools and Stoll, 2016) : “In Singapore, for example, teachers are entitled to 100 hours of professional development each year. The majority of professional development is provided on site in the schools where teachers work, and is directed at the specific goals and problems teachers and school leaders are addressing in those schools. Each school has a fund for professional development that it can use to address specific knowledge and skills needs (OECD, 2015b).” Si tant est que le professeur enseigne et l’élève apprend, car le maitre ne saurait apprendre à la place de l’élève, en dépit de son obligation de « faire apprendre » 12 qui commence à s’imposer, il en va de même en formation. C’est le sujet qui se forme. Et pour cela il a besoin de liberté, à condition de rendre des comptes. Il doit pouvoir effectuer des choix, prendre des initiatives tout en recherchant la coopération de ses pairs, tant débutants que plus chevronnés. Il doit s’essayer à transmettre lui-même à d’autres adultes en même temps qu’il se forme, comme l’élève qui, appelé parfois à transmettre à son tour, manifeste par ce biais sa meilleure appropriation de savoirs qui lui ont été enseignés, voire sa capacité à apprendre directement par lui-même. Les implications éthiques fondamentales d’une telle configuration sont en outre porteuses de transformation de l’acte pédagogique. C’est pourquoi nous défendrons ici l’idée que, puisqu’il parait impossible de rien ajouter au cocktail déjà bien chargé de l’année de l’étudiant stagiaire, il vaudrait 10 Le CAFFA (certificat d’aptitude aux fonctions de formateur académique) n’existe pour le second degré que depuis 2015 ; il est le pendant du CAFIPEMF (Certificat d’aptitude aux fonctions d’instituteur et professeur des écoles maitre formateur) du 1er degré, lequel existe sous des sigles divers depuis plusieurs décennies 11 Une réflexion à suivre peut-être dans un prochain texte 12 L’hébreu est intéressant à cet égard, enseigner (lélamed) et apprendre (lilmod) étant construits sur la même racine ‘lmd’ ; lélamed = littéralement faire apprendre 9 mieux songer à en retirer. Alléger donc ! Mais sans démagogie qui reviendrait à rétrocéder, sans contrepartie ni contrôle, du temps pour eux réclamé par les stagiaires, et nous ramènerait un demi-siècle en arrière. Sans « tout casser » ni « tout bouleverser » de l’équilibre actuel dont il fut assez compliqué d’accoucher depuis 201413, on peut repenser les moments et leurs fonctions selon une nouvelle logique de regroupement des personnels stagiaires : – en introduisant d’abord la parité de durée entre les groupements disciplinaires ou catégoriels et les groupements interdisciplinaires et inter catégoriels ; ce serait une première « révolution » ; – pour favoriser dans ce deuxième type de regroupement les démarches de projet et autres approches novatrices que les écoles d’ingénieurs et autres masters à petits effectifs ne manquent pas de proposer à leurs étudiants ; une rupture indispensable qui ne pose depuis longtemps aucun problème dans ces structures ; pourquoi en poserait-elle dans l’éducation ? Faute de quoi la formation des maitres continuera de s’apparenter à un processus de reproduction, pour ne pas dire de formatage, renforcé par l’échéance de la titularisation à la fin de l’année d’alternance. Au risque permanent de déresponsabiliser le « sujet se formant » qu’il ne devrait jamais cesser d’être, pour le maintenir dans un état de « formé » plus ou moins passif face à des formateurs : le schéma scolaire le plus traditionnel répété à l’envi ! Yves Zarka Inspecteur d’académie, Créteil Indications bibliographiques Rosette et Jacques BONNET, Nouvelles logiques, nouvelles compétences des cadres et des dirigeants Entre le rationnel et le sensible, L’Harmattan, 2003 Nathalie DUVAL, ‘Mise en perspective historique des pédagogies de l’individualisation et de la différenciation des apprentissages : les précurseurs en éducation nouvelle et méthodes actives (du XIXe siècle aux années 1930)’, in Administration & Éducation, n° 150 juin 2016 DANIEL FILÂTRE, Vers un nouveau modèle de formation tout au long de la vie, Rapport sur la formation continue, Comité national de suivi de la réforme de la formation des enseignants et des personnels d’éducation, novembre 2016 Roger-François GAUTHIER et Agnès FLORIN, Que doit-on apprendre à l’école ? Savoirs scolaires et politique éducative, pour Terra Nova, 27 mai 2016 www.tnova.fr KARSENTI, T. (2016). Mieux former les enseignants dans la Francophonie. Principaux enjeux actuels et futurs. Montreal, QC : AUF KOOLS, M. and STOLL L. (2016), “What Makes a School a Learning Organisation?”, OECD Education Working Papers, No. 137, OECD Publishing, Paris. http://dx.doi.org/10.1787/5jlwm62b3bvh-en Gaston PARAVY (dir.), Guidance professionnelle Médiation et accompagnement Avec le PEI de Reuven Feuerstein, Chronique Sociale 2012 Antoine PROST (dir.), La formation des maitres de 1940 à 2010, Presses universitaires de Rennes, 2014 Yves ZARKA, ‘De nouvelles façons d’apprendre : entre le cristal et la fumée’, in Les Cahiers pédagogiques, n° 516 novembre 2014 Yves ZARKA, ‘Accompagner les établissements : mission nouvelle ou nouvelle façon d’exercer le métier d’inspecteur’, in Administration & Éducation, n° 149 mars 2016 La formation initiale et continue des maitres, Rapport de l’IGEN et de l’IGAENR, février 2003 13 Mise en place des masters MEEF au sein des ÉSPÉ et toute la période de transition induite 10 Évaluation de la politique de formation continue des enseignants des premier et second degrés (sur la période 1998-2009), Rapport de l’IGEN et de l’IGAENR n° 2010-111, octobre 2010 Teacher education for inclusion, International Literature Review, European Agency for Development in Special Needs Education 2010, www.european-agency.org Rapport d’information en conclusion des travaux de la mission d’information sur la formation des enseignants, présenté par M. Michel MÉNARD, rapporteur, Assemblée Nationale, n° 4075, octobre 2016
Formation des maitres : alléger plutôt qu’alourdir !
