L’enseignant a été un élève et un étudiant ; il est marqué par ses expériences scolaires et il est établi que celles-ci ont bien plus d’influence sur son appréhension du métier que tous les discours, y compris pédagogiques les plus innovants, qui lui sont tenus dans les lieux de formation (Teacher Education for Inclusion, 2010). Ce phénomène est renforcé par le fait que l’enseignement est considéré comme une « technologie molle » 2 , celle-ci n’offrant que quelques principes très généraux pour guider l’action, pas de procédures éprouvées ni encore moins garanties. À l’opposé des professions à fort degré de technicité « dure » où des protocoles très rigoureux sont définis. Tandis que le professeur débutant trouve – ou croit trouver – dans la profusion des outils et supports didactiques disponibles (qui plus est gratuitement) la source de son métier, qu’il lui suffira d’aménager à tel ou tel moment et à tel ou tel public. Pour autant que 2 Selon le mot de Christine Musselin, colloque AFAE, avril 2014 3 la représentation du métier qui sous-tend cette attitude est on ne peut plus classique et traditionnelle : « le maitre parle et les élèves écoutent, répondant aux questions qu’il leur pose de temps en temps ; le maitre explique et les élèves appliquent ; le maitre donne à faire et corrige, dit le juste et le vrai. » L’immersion ou formation sur le tas Le premier modèle est celui de la formation « sur le tas », appelé plus glorieusement immersion. Ce modèle n’a pas toujours été déprécié : puisqu’il était admis que les connaissances de sa discipline acquises dans le parcours universitaire suffisaient au professeur pour les retransmettre. Cette idée a davantage marqué le second degré, renforcée par la croyance selon laquelle, à partir d’un certain âge et moyennant une « inévitable » sélection, l’élève était capable d’assimiler seul les savoirs – tout au plus avec une aide extérieure que l’enseignant estimait ne pas être habilité à lui donner. La pédagogie, avec tout le mépris qu’on lui vouait dans certains cercles, ne valait que pour les plus jeunes élèves. L’idée de formation sur le tas ne fut pas étrangère à la mastérisation menée sous le ministère Darcos, même si on en a dressé un portrait par trop caricatural : n’apprend-on pas en faisant ? L’élévation du niveau de formation initiale – au sens universitaire – est un facteur reconnu d’amélioration de la qualité de l’enseignement en ce qu’il favorise la capacité d’adaptation à la variété des situations professionnelles ainsi que la capacité d’autoformation sur la durée. S’il est vrai que la voie la plus noble du recrutement secondaire complétait l’immersion par un système de mentorat (voir plus bas) à travers les Centres pédagogiques régionaux (CPR)3 , la réalité demeura, durant des décennies, l’entrée massive par l’auxiliariat sans formation professionnelle (Prost, 2014). L’alternance Le second modèle qui s’est développé, d’abord dans le premier degré avant d’irriguer le second degré4 est celui de l’alternance. Il se déroule au sein de L’École normale, pensée comme lieu de pédagogie et de polyvalence en direction des futurs instituteurs ; puis par la suite comme espace de formation continue pour les instituteurs titulaires à partir des années 1970, lesquels laissaient ainsi momentanément leurs classes aux élèves instituteurs, comme lieux des stages pratiques en responsabilité. Cette formation continue était affichée comme du recyclage dû à l’arrivée de nouveaux programmes ou de nouvelles méthodes pédagogiques. Détail révélateur : le départ en stage n’était pas autorisé aux enseignants du premier degré titulaires ayant moins de cinq ans d’ancienneté ; verrou qui ne fut supprimé qu’au début des années 1990 ! L’alternance s’apparente à un apprentissage qui fait alterner – selon des proportions et des temporalités diverses – des périodes passées sur le lieu de travail et en exercice effectif avec des moments passés en école professionnelle ou à l’Université. En vigueur dans la formation des maitres, il peine pourtant à assoir sa légitimité : toujours suspect de déguiser en alternance la simple juxtaposition d’une formation sur le terrain (pour ne plus dire sur le tas) et des cours et autres ateliers – sans rapport les uns (les cours) avec l’autre (le terrain). Une juxtaposition qui en outre obère complètement le « tiers-lieu » informel qui combine : le « chez soi » où l’on se concentre sur la préparation – toujours urgente 3 Dispositifs mis en place dans la deuxième moitié du XXe siècle d’encadrement des stagiaires lauréats des concours 2nd degré placés en pratique accompagnée ou en responsabilité sur un service fortement allégé 4 Les IUFM, créés en 1990, furent d’emblée critiqués pour avoir imposé aux stagiaires du 2nd degré une présence obligatoire et contrôlée, en sus de leur service partiel d’enseignement en établissement 4 – de ses cours et la correction des cahiers et des copies ; les rencontres de couloir et de cantine, reconnues unanimement par les étudiants stagiaires comme très fructueuses. C’est de cette façon que le modèle de l’alternance apparait comme quelque peu « introuvable » et par conséquent intenable, joint à l’empilement et au morcellement déjà soulignés. Le mentorat Le troisième modèle de formation, combiné en général aux deux autres, se décline en différentes variantes souvent complémentaires. C’est tout le champ de l’accompagnement, désigné comme mentorat par les auteurs anglo-saxons. L’apprenti s’exerce sous le regard – bienveillant et exigeant – de son maitre compagnon. Associé à la formation sur le tas dans le meilleur des cas, le compagnonnage est aussi pratiqué en formation des enseignants. Suivant une logique classique, le stagiaire commence par observer. Puis il fait à son tour dans la classe même du conseiller pédagogique ou du maitre-formateur et sous son regard : c’est la pratique accompagnée. Enfin on peut lui « prêter les clés » : c’est le stage en responsabilité au cours duquel il est seul, sauf quand il reçoit occasionnellement la visite d’un tuteur. Le stage pratique au sein du CPR en fut le schéma archétypal. Marqué par la ténuité, sinon l’évanescence des formations qui y étaient associées, il donnait l’opportunité au futur enseignant ayant réussi le CAPES (Certificat d’aptitude professionnelle à l’enseignement secondaire) de s’exercer et de s’entrainer sans trop de risques « face » aux élèves – hors le moment de l’examen pratique devant l’inspecteur – avec l’appui des conseillers pédagogiques, à présent nommés tuteurs. Plus récemment, on a ajouté à cette panoplie l’analyse de pratique sous forme d’ateliers déconnectés de la présence en classe : en petit groupe, on partage des expériences et, sous la conduite d’un superviseur rompu à telle ou telle approche, on tente d’apporter quelques éléments de réponse aux problèmes soulevés et de dégager quelques principes d’action. Nous ne nous arrêterons pas sur les diverses variantes d’analyses de pratique qui, reposant sur des logiques et des promoteurs différents, peuvent néanmoins être complémentaires. Devant la richesse et la sophistication de ces modalités de formation professionnelle initiale, reste-t-il quelque chose à inventer, qui opèrerait comme la martingale ou le remède universel à tous les maux décriés de cette formation ? On peut raisonnablement en douter. Or, pour tenter de répondre à la question : « comment mieux former les maitres ? », il faut bien en affronter une bien plus délicate : « quelle école voulons-nous ? »