L’auteur revient ici sur la place de l’écriture dans les disciplines. Cette question resta longtemps un « impensé » de l’école : la lecture et l’écriture étant censées être acquises, il suffisait de solliciter ces compétences chez les élèves dans la réalisation des tâches proposées. Leur intégration mieux assumée dans les disciplines a fait son entrée dans la prescription institutionnelle depuis un peu plus de vingt ans. Toutefois, on hésite encore à décider si elles restent en marge ou bien plutôt en panne dans les pratiques pédagogiques.
Yves Zarka, inspecteur d’académie, Créteil, membre du conseil d’administration de l’AFEF
La présente étude de cas s’appuie sur des écrits d’élèves d’une classe de 3ème d’un collège de la banlieue parisienne classé en éducation prioritaire. Ils ont été recueillis en octobre 2014 dans un cadre étranger à l’inspection. Un entretien a eu lieu entre l’observateur et l’enseignant.
Pour planter le décor
Le chapitre – « Se protéger des microorganismes et les éliminer » – répond aux impératifs du programme de SVT. Les élèves ont la possibilité de travailler seuls ou par deux d’après un corpus de documents courts sur la découverte de la pénicilline, l’usage des antibiotiques et des antispetiques, la protection contre la grippe ainsi que le Sida et les autres infections.
La consigne a le souci de donner, selon les recommandations en vigueur, une « tâche complexe » à effectuer. En voici le libellé fourni par écrit aux élèves :
Suite à son cours de SVT, Joey est paniqué car il a appris qu’il peut être contaminé : par le virus de la grippe si une personne malade éternue près de lui ; par les bactéries du tétanos s’il se blesse avec un objet ; par le virus du SIDA lors d’un rapport sexuel.
A l’aide des documents joints, rassure Joey. Pour cela rédige un texte afin de lui expliquer :
– comment il peut éviter d’être contaminé par le virus du SIDA et celui de la grippe
– comment il peut se débarrasser des bactéries du tétanos en cas de contamination.
Dans la perspective de corrections croisées entre élèves, ceux-ci disposent d’un tableau qui détaille les critères de réussite en fonction des documents du corpus, au regard desquels ils devront indiquer la réussite ou la non réussite. Deux capacités sont évaluées :
– rechercher, extraire et organiser l’information utile ;
– rédiger un texte bref, cohérent et ponctué, en réponse à une question.
Trois objets de travail
Le travail proposé mêle, sans que les acteurs en aient une claire conscience, trois objets distincts et de natures très différentes.
Le premier est le contenu d’information scientifique, soit explicitement présent dans les documents, soit implicitement requis des élèves (ex : connaître la différence entre antibiotique et antiseptique, distinguer virus et bactérie, savoir ce qu’est une IST,…). On est dans la discipline et cet article n’a pas vocation à en commenter la dimension didactique.
Le second objet s’inscrit de façon plus large dans le champ éducatif. L’école en effet recherche l’inflexion ou l’induction de comportements individuels et d’usages sociaux face à des situations à risque, ici dans le domaine de la santé, de l’hygiène, de la prophylaxie. Soulignons que l’approche éducative est hypercomplexe : elle ne saurait être réduite à la seule information ; il ne suffit pas d’alerter pour prévenir des comportements à risque !
Enfin le dernier objet est l’écriture. Nous sommes au cœur du sujet, celui de la technologie propre de la production de textes, son ingénierie devrait-on dire. Examinons quelques copies d’élèves.
Trois textes produits
Le temps de rédaction laissé aux élèves a été de 15 minutes. Aucune indication sur la taille du texte attendu n’a été donnée, à part le vague « texte bref ». Rien sur la mise en page, la disposition du texte, les conditions de la diffusion – même si l’on reste dans le cadre d’une simulation. Les écrits ci-dessous ont été retranscrits dans leur intégralité, avec orthographe, ponctuation, ratures et effacements d’origine.
B M
pour te protéger contre le virus de la grippe tu dois te laver les mains avec de l’eau et du savon pendant 30 s minimum et essuyer avec une serviette sèche ou de l’essuie-tout. (suivent deux lignes blancotées)
aérer les pièces et désinfecter les poignées de porte, Robinets et Verres…
tu dois appeller ton médecin si tu as des symptômes (38° ou +) de la grippe. et rester chez toi en cas de su tu dois aussi éviter de faire la (+ une ligne blancotée)
pour te protéger contre le sida tu dois te protéger à utiliser un preservatif lors de rapor Rapport sexuel (un à chaque rapport).
Pour te débarrasser des bactéries du tétanos en cas de contamination, tu dois désinfecter la ou les plaie contaminée à l’aide d’un produit d’antiseptique. et si ils sont dans ton corps tu dois prendre des anti-biotiques
F A
« Bonjour Joey ne t’inquiète pas tu peut eviter largement les risque du SIDA en te protegeant avec un preservatifs. »
« Pour la grippe ton Hygiène doit s’améliorer voici quelques exemples :
– Se laver les mains régulièrement
– Couvrir sa toux avec un mouchoir jetable.
« Et enfin la tétanos pour eviter la maladie il faut desinfecter ses tes blessures. »
L S
1/ Joey tu peut éviter d’être contaminé par le virus du Sida en se protégeant avec un préservatif à chaque rapport sexuel.
2/ Pour la grippe tu dois souvent te laver les mains, en cas d’épidémie ne pas faire la bise au autre, aére les pièces et désinfecte. les (pas de suite)
3/ Et enfin pour le Tétanos tu dois te désinfecté avec un produit antiseptique tes plaies et si tu l’attrape utilise des antibiotique approprié.
L’enseignant estime dans l’ensemble les copies plutôt toutes réussies.
Analyse et propositions
Mettons en regard les éléments suivants, qui figurent dans la fiche distribuée aux élèves :
Extrait de la consigne : « A l’aide des documents joints, rassure Joey. Pour cela rédige un texte afin de lui expliquer (…) » | Critères de réussite : « Texte lisible, correctement ponctué et orthographié, utilisant le langage scientifique adapté et répondant précisément à la question posée. » |
Ajoutons que les indicateurs de réussite détaillés, non reproduits dans cet article, qui ont servi aux corrections croisées, sont exclusivement centrés sur la prise en compte des informations tirées des documents. L’enseignant a insisté : « Mon exigence est souvent rappelée : concision et clarté des propos ; des textes courts, des phrases courtes, allez à l’essentiel ! ».
Or, quelle est la nature exacte de cette tâche complexe ? Joey est inquiet, paniqué nous dit-on. Il faut donc le rassurer. Suffit-il d’expliquer pour rassurer, comme le donne à entendre la consigne ?
La solution présentée par F A est intéressante : « Bonjour Joey ne t’inquiète pas (…) ». Les autres copies sont restées plus neutres, tandis que F A revient bien vite au style impersonnel que sans doute attend le professeur et avec lui toute l’institution scolaire.
Dans quelle mesure les textes produits ont-ils répondu à la consigne, quand le cœur de celle-ci est : « Rassure Joey » ? Comment le professeur de SVT peut-il attendre autre chose que l’exactitude des informations scientifiques et une rédaction la plus neutre possible, dans l’esprit des écrits documentaires auxquels il a toujours été confronté dans son activité professionnelle ? Alors que l’enjeu du texte demandé est : quel effet sensible aura-t-il sur les lecteurs potentiels ?
En parallèle de l’éducation à la santé, en marge des contenus scientifiques, l’intérêt de cette « tâche complexe » est qu’elle se situe dans le champ de la communication. On sort donc de la discipline pour entrer dans un domaine éminemment transversal et interdisciplinaire. A qui en revient la charge ? Les programmes scolaires peinent à répondre, laissant pour ainsi dire les enseignants s’en « débrouiller » !
Une première piste serait d’inviter notre enseignant de SVT à se tourner vers son collègue de Français. Celui-ci pourrait lui faire les suggestions suivantes : explorer les registres de l’inquiétude et de l’apaisement ; faire écrire deux textes symétriques, l’un pour inquiéter et l’autre pour rassurer ; mettre en compétition des équipes d’élèves ; fixer une fourchette de taille au texte ; donner plus de temps, revenir plusieurs fois sur l’écriture en cours pour compléter, corriger, réviser, repenser au besoin les textes ; les soumettre à un public quelconque pour recueillir ses réactions. Irréaliste ? Difficile assurément mais pas impossible !
Une autre piste plus ambitieuse serait d’inscrire ce travail dans une démarche de projet, partagée dès la conception par les professeurs des deux disciplines, le cas échéant avec le professeur documentaliste. En se limitant même à la production d’un écrit – si l’on n’est pas en mesure de rêver d’un support multimédia – celui-ci doit être envisagé de façon à ouvrir aux élèves un horizon de créativité, l’une des caractéristiques fortes de la démarche de projet.

C’est à ce prix que l’on passera de la juxtaposition au mieux de deux matières scolaires à l’émergence d’une approche interdisciplinaire, matérialisée ici par une ingénierie de la communication.