Yves ZARKA 

Accompagnement. Le mot s’invite du sommet de la hiérarchie jusque dans la classe. Le ministre de l’éducation entend que les réformes soient accompagnées. Les recteurs et les inspecteurs s’y emploient auprès des personnels ; ces derniers sont à présent, à tous les degrés et niveaux de l’enseignement scolaire, appelés à mettre en œuvre l’accompagnement personnalisé des élèves. 

L’accompagnement est une vocation naturelle des inspecteurs ainsi que des formateurs. Pourquoi y revenir alors ? Y a-t-il accompagnement et accompagnements ? Ce témoignage d’expériences originales menées récemment auprès de collèges et de lycées a inspiré à l’auteur quelques réflexions sur le rôle des inspecteurs. 

Début septembre 2013. Le principal d’un collège d’un de mes secteurs me téléphone : « Je voudrais parler pédagogie, quand pouvez-vous venir ? ». Le rendez-vous est pris très vite. Après un large tour d’horizon, l’idée d’accompagnement émerge, sans qu’aucune vision précise ne se dégage. Le défi que représente pourtant cette première « commande » d’un genre inhabituel n’est pas pour me déplaire. 

La première «commande» 

J’avais fait la connaissance du principal à la fin de l’année scolaire précédente, lors de la restitution des projets pédagogiques. J’achevais à peine ma première année d’exercice en qualité d’IA-IPR Établissements et vie scolaire, point d’orgue d’une carrière où j’avais tour à tour exercé les fonctions  d’enseignant ; de formateur ; d’IEN premier degré et de responsable de formation, initiale à la direction d’un centre IUFM, continue avec la responsabilité du plan de formation des professeurs des écoles. Avec toujours autant d’interrogations sur la façon d’exercer au mieux mes missions. 

Nous constituons, sans doute de façon brouillonne et impulsive, une équipe qui sera composée, avec moi, d’un inspecteur de discipline et de la directrice du CIO, tous deux enthousiastes. Pour faire quoi ? Le projet est encore flou. Nous décidons d’assister à l’intégralité d’une journée d’une classe de 6ème et d’une classe de 3ème. Nous aurons par la suite rencontré les élèves de ces classes et plus tard assisté à leurs conseils de classe. Le but s’éclaircit : proposer aux équipes pédagogiques et éducatives un accompagnement sur la thématique de leur choix. Des pistes sont suggérées : la coopération entre élèves, leur prise de parole en classe. La rencontre avec le Conseil pédagogique se déroule fort civilement. Pourtant, il n’y aura pas de suite, peut-être du fait de cette offre inattendue, sûrement à cause d’événements sans rapport venus perturber la vie de l’établissement peu de temps après. 

Une proposition similaire formulée devant un autre Conseil pédagogique, sans observations préalables dans les classes, n’aura pas eu plus de succès dans l’immédiat ; pourtant une sollicitation du chef d’établissement viendra quelques mois plus tard : délai probable de maturation ? Après des débuts prometteurs, cet accompagnement, engagé avec un autre inspecteur de discipline et un autre directeur de CIO, s’est interrompu. 

D’autres tentatives ont eu lieu depuis, toutes mieux structurées, plus précautionneuses aussi : on apprend de ses erreurs. L’une est en cours dans un lycée auprès des professeurs principaux de 2nde, sur l’orientation. Une autre a pour objet l’élaboration du projet d’établissement d’un collège nouvellement ouvert. Trois autres portent sur l’accompagnement personnalisé en 6ème. De ces trois, je retiendrai celle qui, à l’heure où ces lignes sont écrites, m’a paru la plus emblématique. 

Accompagner laccompagnement personnalisé 

Ce collège de la région parisienne est en éducation prioritaire. Lorsque la principale – nouvellement nommée – me sollicite, c’est en raison de tensions de divers ordres qu’elle ressent dans l’établissement ; nous analyserons dans un premier temps les relations au sein de l’équipe de direction élargie, un « classique » de l’IPR EVS. Ce collège, qui pâtit d’une image négative, dispose d’atouts incontestables : un personnel enseignant et d’éducation assez jeune, engagé et dynamique ; il n’y a pas de conflit local paralysant. Mais, comme ailleurs, le travail d’équipe peine à se structurer, on use un peu trop des exclusions de cours, l’aide aux élèves en difficulté reste un peu incantatoire. 

Nous parvenons assez vite, avec l’équipe de direction, à nous accorder sur la préférence à donner à une entrée pédagogique plutôt que de stricte vie scolaire. Je ne peux nier avoir pesé sur ce choix, mon parcours professionnel pouvant l’expliquer aisément. Pourquoi l’accompagnement personnalisé ? Dès ma prise de fonction, j’avais interrogé – je l’avoue un peu compulsivement –, les directions de tous les établissements de mon secteur, recueillant sur le sujet presque invariablement la même réponse : « Nous ne sommes guère satisfaits, et de toute façon nous n’avons que très peu de visibilité sur ce qu’il s’y passe ». Comment faire avancer ce chantier pourtant mis en route par le Ministère dès 2009 dans les lycées et depuis 2011 dans les collèges ? Je fournis à la principale un modeste diaporama reprenant les points essentiels de la circulaire ministérielle. Il fut présenté aux enseignants hors ma présence. Il ne restait plus qu’à attendre. Nous étions début novembre 2014. 

Trois mois plus tard, la principale me confirme l’intérêt des équipes pédagogiques et éducatives pour le sujet. Je lance aussitôt un appel à mes collègues IA-IPR intervenant sur le même secteur ; en effet, je ne me sens ni légitime pour intervenir seul, ni en capacité de prendre en charge en totalité cet accompagnement, dont je n’ai à ce moment qu’une vision imprécise. Heureuse surprise : presque tous répondent positivement. Les contraintes d’agenda nous réduiront à un groupe à peu près stable de cinq inspecteurs de différentes disciplines. Ce nombre nous a paru rétrospectivement adapté, tous n’ayant pas pu avoir le même degré d’implication. 

En liaison étroite avec l’équipe de direction, le « groupe des accompagnateurs » décide d’adresser aux équipes un courrier à la forme et au contenu inhabituels. En substance, le message invite à nous rencontrer, pas pour que nous leur tenions un discours institutionnel convenu ni pour apporter des réponses toutes prêtes, mais pour écouter leurs sentiments, avis, envies, visions et actions déjà engagées. 

À l’heure dite, plus de la moitié du personnel est présent. L’équipe de direction assiste à la rencontre de bout en bout. La parole est assez libre pour que des questions pédagogiques de fond soient soulevées et que quelques controverses feutrées se manifestent. Au bout d’une heure et demie, la décision s’impose : les équipes vont s’atteler à rénover de fond en comble l’accompagnement personnalisé en 6ème, pour mise en œuvre à la prochaine rentrée scolaire. La réunion plénière suivante est fixée. Elle sera l’occasion pour les équipes de présenter une première ébauche du futur dispositif, et pour tous, accompagnateurs et accompagnés, de faire les premiers arbitrages sur des points de conception et d’organisation. 

L’accompagnement de l’accompagnement personnalisé venait d’entrer dans sa phase opératoire. Il n’est pas dans ce propos d’aller dans le détail, ni du dispositif rénové tel qu’il a émergé de ce travail, ni de la suite des opérations. Au fil des semaines, une équipe plus restreinte s’est constituée, d’une dizaine de personnes, elle aussi pluri-catégorielle puisqu’elle associe une CPE et deux professeurs des écoles, coordonnateur de l’éducation prioritaire et chargé de l’ULIS. Les réunions se multiplient, le plus souvent en autonomie, les comptes rendus nous étant adressés. Le « groupe des accompagnateurs » aura rencontré l’équipe dédiée à deux autres reprises. Je voudrais dire ici la qualité et la liberté des échanges qui se sont déroulés à ces occasions. Nous étions entre professionnels, l’équipe de direction toujours présente, les inspecteurs pleinement reconnus par les enseignants comme accompagnateurs et ceux-ci visiblement heureux de tenir ce rôle inhabituel. 

Ajoutons qu’un bilan interne a été fait à l’issue de l’année de mise en œuvre – pendant laquelle l’accompagnement s’est poursuivi, conformément à l’engagement de départ. Parallèlement, et grâce à un concours de circonstances, une enquête fut menée par trois étudiants de master. Les améliorations à apporter ont convergé, et tous les acteurs, y compris les élèves et les parents, ont pu exprimer leur vif intérêt pour le nouveau dispositif. N’en tirons ni gloire ni conclusion hâtive. L’accompagnement d’un établissement est une alchimie capricieuse, d’autres tentatives moins heureuses sont venues nous le rappeler. 

En quoi ces expériences se distinguent-elles d’opérations plus conventionnelles qui peuvent leur ressembler au moins dans la forme, comme les évaluations d’établissement ou les formations opérées sur site et connues sous divers noms – formations d’initiative locale, aides négociées, stages d’école ou d’établissement ? Où se situent les ruptures ? 

Accompagnement ou accompagnements: les points de rupture 

Un peu magique et incantatoire, l’accompagnement est sans cesse affirmé comme partie intégrante des missions des inspecteurs : par l’inspection individuelle ; par l’animation pédagogique et la formation ; par la réunion de l’équipe de la discipline avant ou après l’inspection. Malgré ses évolutions, l’acte d’inspection, individuel ou collectif, disciplinaire ou d’établissement, demeure celui qui vient, après coup, évaluer et valider, conseiller et dire la voie à suivre. Pour sa part, l’action de formation, en dépit de tous ses raffinements participatifs, reste pour l’essentiel une opération d’information et de communication – nécessaire mais loin d’être suffisante. Nous touchons là le premier point de rupture. 

Accompagner, c’est en effet être avec sans faire à la place, sans juger non plus. Accompagner, c’est s’inviter, avec son plein accord, dans le projet d’un individu ou d’un groupe, sans y prendre trop de part, sans se rendre indispensable. Les accompagnateurs sont comme les catalyseurs d’une réaction chimique, sauf qu’ils n’en ressortent pas inchangés à la fin de l’opération : ils ont tant appris ! Accompagner c’est faire confiance, autoriser l’inventivité et le tâtonnement, encourager sans dicter la marche à suivre ni trop baliser le chemin, puisque celui-ci reste à défricher. En aucun cas il ne s’agit de faire, habilement, mieux assimiler les recommandations de l’institution. Les acteurs – accompagnés et accompagnateurs – vivent une démarche de projet avec sa part d’incertitudes. 

Le second point de rupture des accompagnements que nous avons décrits plus haut réside dans la constitution d’équipes plurielles. Leur intervention est marquée par la complémentarité, évidente source de richesse. Quid de leur légitimité ? 

Or c’est le troisième point de rupture, qui réside dans un double abandon, certes momentané : celui de l’expertise disciplinaire reconnue aux inspecteurs ; celui de leur posture hiérarchique, quoique fort atténuée dans le secondaire. 

En effet, c’est en généralistes que nous sommes intervenus avec mes collègues, ce qui pouvait nous disqualifier aux yeux des enseignants, et provoquer de la résistance chez une partie des inspecteurs, tous, dit-on, très attachés à leur identité disciplinaire. 

L’abandon provisoire de la posture hiérarchique est le point le plus délicat : illusoire dans la réalité, il explique la réticence que certains chefs d’établissement ont eue à accepter les offres d’accompagnement dont j’ai témoigné. L’inspecteur demeure le représentant du recteur. 

Or, pouvait-on faire autrement face à des objets de travail transversaux ou interdisciplinaires, pour lesquels il n’existe pas, et c’est heureux, de spécialités dédiées d’inspection ?! Les enseignements pratiques interdisciplinaires vont faire leur entrée au collège, l’accompagnement personnalisé va y être généralisé. Les « Parcours » (artistique et culturel, citoyen, d’avenir, etc.) se développent. L’histoire des arts est déjà en place de la maternelle au lycée. L’enseignement moral et civique va s’installer tout au long de la scolarité. Va-t-on passer à côté de cette opportunité de travailler autrement et de faire travailler autrement les personnels ? Les inspecteurs peuvent-ils continuer à prôner le travail d’équipe sans donner eux-mêmes l’exemple ? Derrière des oppositions de principe, où trouver le temps, diront les plus pragmatiques ? L’heure des choix est certes venue. Pourtant, je me suis livré à un petit calcul que je ne peux développer ici : en y consacrant moins de dix pour cent de leur potentiel horaire, les inspecteurs pourraient assurer chaque année des accompagnements du type de ceux décrits ici pour un tiers des établissements d’une grosse académie comme celle où j’exerce. Alors chiche ? 

Yves Zarka 
Inspecteur d’académie, Créteil