La plupart des experts du sujet se rejoignent en effet sur les mêmes préconisations, peu ou prou. On les retrouve dans les différents rapports sur la formation des maitres parus ces dernières années et encore tout récemment (Karsenti, 2016 – Filâtre, 2016 – Rapport d’information Ménard, 2016). Englobant cette fois les processus de formation initiale et de formation continue, ils dégagent quatre perspectives que nous avons résumées et brièvement commentées. Envisager la formation comme un continuum tout au long de la vie, en abandonnant la distinction peu utile entre formations professionnelles initiale et continue Cette piste devrait conduire à privilégier en priorité l’accompagnement des stagiaires sur le terrain en le prolongeant sur les premières années d’exercice. Cela fut tenté maladroitement à partir de la rentrée 2002 ( Circulaire 2001-150 du 20 juillet 2001 relative à l’accompagnement à l’entrée dans le métier des enseignants) et assez vite abandonné probablement en partie à cause de son coût, chassé aussi par l’arrivée d’une nouvelle réforme. Cet accompagnement doit être consistant et suppose que les tuteurs puissent eux-mêmes être à la fois assez nombreux et suffisamment préparés à cette mission, ce qui ne me semble pas être le cas8 . La contrepartie de cette extension du mentorat est l’étalement concomitant des moments de regroupements sur ces mêmes premières années de carrière, pour autant que leur contenu soit à la hauteur, et à supposer qu’ils soient vraiment nécessaires (voir point 3). Une autre formule mise en œuvre par certains pays – mais très peu suivie en France – consiste à étendre la préparation vers l’amont par la pré-professionnalisation dans les premières années d’études supérieures. Penser la formation dans une perspective beaucoup plus interdisciplinaire et inter catégorielle En dépit des pétitions de principe et des effets d’annonce, cette direction semble la plus difficile à suivre. Elle bouscule sans doute trop de certitudes et d’habitudes, mais aussi trop d’intérêts particuliers. Introduite à dose assez homéopathique dans la formation des personnels d’encadrement, cette logique pourrait-elle valoir pour les enseignants ? Les approches inter catégorielle et interdisciplinaire soulèvent de plus en plus d’intérêt chez les enseignants, rappelons-le tous désormais de catégorie A, donc agents de conception et non d’exécution. On l’a vu à l’occasion de réformes récentes, depuis l’instauration du Socle commun de compétences et à la faveur de la refondation de l’Éducation prioritaire. Mais leur mise en œuvre est très exigeante pour éviter qu’elle se dilue 8 Jugement que je ne suis pas en mesure d’étayer par des références d’études, mais qui s’est forgé au long d’une pratique et d’une connaissance du monde de l’enseignement et de la formation des maitres de plus de trente années 9 Dans ses deux versions successives de 2006 (suite à la loi Fillon) puis de 2015 (suite à la loi Peillon) 7 dans un discours trop général dépassant les bonnes intentions et les vœux pieux : dès que l’on sort des valeurs sûres de la technique pure des disciplines, on court en effet le risque du mou et du flou, délaissant le cristal des savoirs pour d’incertaines fumées (Zarka, 2014). Et pourtant, il faudra bien préparer les maitres à la dévolution de la conduite de projet par les élèves et à l’animation éducative, si essentielles aux évolutions de l’École pour installer les nécessaires compétences transversales et autres habiletés psycho-sociales ou socio-émotionnelles (les bien nommées soft skills par les anglo-saxons) ; et construire la citoyenneté. Ces choses-là ne s’apprennent guère dans les livres ni par voie de conférences, même pompeusement habillées en numérique par un MOOC (Massive open on-line course). Faire de la formation un moyen de renforcer la construction de collectifs de travail, à des échelles et dans des cadres multiples Autrefois solitaire – n’a-t-on pas dit du professeur qu’il exerce en libéral au sein de la Fonction publique ? – le métier d’enseignant peut de moins en moins être exercé en dehors de collectifs de travail. Or ceux-ci ne se constituent et ne prennent sens que dans la proximité professionnelle : école, établissement, réseau d’éducation prioritaire ; mais aussi cycles et liaisons inter-cycles et inter degrés. Certes, il ne s’agit pas de supprimer toute possibilité d’ouverture plus personnelle, ni de rencontres plus aléatoires, au risque d’enfermement. Mais pour l’heure, les plans de formation académiques sont majoritairement construits sur la base d’un catalogue d’actions offertes à l’inscription individuelle, et encore ces actions, qui ne touchent qu’un public minoritaire, ne visent-elles avant tout que l’information sur les changements de programme et les réformes. Les stages d’école et d’établissement occupent la portion congrue. L’expérience intéressante de la formation dans les REP+, encore balbutiante, risque l’essoufflement, en dépit des moyens qui leur ont été consacrés. Cela révèle la limite d’un modèle qui reste tourné vers les recettes traditionnelles : faire sortir de leur classe et regrouper périodiquement des enseignants de même catégorie en leur offrant soit du discours – utile à condition d’être d’excellente qualité – soit une mise en « ateliers-bavardage » signant pour eux l’incapacité de l’institution à fournir les réponses qu’ils attendent. C’est ce chantier-là qui s’avère le plus difficile à ouvrir. Quelques expériences d’accompagnement d’établissement (Zarka, 2016) laissent entrevoir une possible issue, à suivre avec attention et à prendre avec prudence. Développer la formation des formateurs Nous avons souligné la faiblesse qu’il nous semble exister dans la préparation des pairs chargés de suivre et d’accompagner les débutants. Avec le recrutement massif de ces dernières années, il a fallu dans l’urgence recruter un grand nombre de tuteurs, qu’il fut à peine possible de regrouper quelques heures pour les informer de leurs missions. S’agit-il de simples circonstances ? En réalité, dans le second degré cette formation des formateurs a toujours été plus que squelettique : les conseillers pédagogiques du second degré avant, comme les tuteurs aujourd’hui, sont recrutés par les inspecteurs sur la base de leurs qualités professionnelles actuelles, ce qui n’en fait pas automatiquement des formateurs. Par la suite, les dispositifs qui leurs sont offerts sont ténus et pour l’essentiel ils se 8 forment sur le tas, sachant qu’il n’y avait pas non plus de certification10, introduite depuis peu. S’il en va autrement dans le premier degré avec les maitres formateurs dûment qualifiés, il n’est pas rare de recruter plus ou moins massivement des maitres d’accueil temporaire, sensibilisés là encore à la va-vite à ce qu’on attend d’eux. Lorsqu’ils existent, les plans de formation de formateurs fonctionnent sur le modèle du catalogue et recourent davantage à des conférences qu’à rechercher la construction de compétences spécifiques, en particulier dans l’ordre de l’analyse de l’activité professionnelle en situation et du conseil auprès des agents accompagnés. Comment ces pistes séduisantes et apparemment consensuelles peuvent-elles entrer dans la pratique ? On l’a dit, les obstacles ne manquent pas : résistances « culturelles » d’un modèle éducatif cloisonné et par trop élitiste ; intérêts catégoriels difficiles à dépasser ; faible volonté politique pour y consacrer les moyens nécessaires ; sans doute aussi manque d’imagination pour tâtonner de nouvelles traductions opératoires dont on doit abandonner l’illusion d’une solution uniforme et définitive. Il conviendrait donc d’appliquer au concept de formation la même révision critique que les pédagogies nouvelles et alternatives ont soumis à l’enseignement. Son modèle pédagogique, resté essentiellement magistral, doit évoluer, de même que son modèle économique11 .